Marie Cohen-Skalli

Marie Cohen-Skalli

Co-Directrice d’Emmaüs Connect

Q1 : Quelles sont les principales situations d’exclusion numérique ?

En France, 13 millions de personnes sont en situation d’illectronisme, c’est-à-dire dans l’incapacité d’utiliser le numérique dans leur vie courante. D’ailleurs, 24 % des Français ne savent pas trouver la moindre information en ligne selon l’Insee. Cela représente 1 personne sur 3 dans son entourage qui manque d’au moins une compétence numérique de base. Mais la fracture numérique ne se résume pas à une inégalité des compétences. En amont, se pose la problématique de l’accès aux outils, qui est loin d’être résolue : près de 8 millions de personnes n'ont toujours pas accès à internet faute d’équipement (Insee, 2019). Contrairement aux idées reçues, les visages de cette exclusion sont multiples et Emmaüs Connect s’est donné pour mission d’accompagner les plus fragiles : jeunes en insertion, migrants, seniors précaires, personnes sans domicile, sans diplôme ou sans formation.

Q2 : Comment aidez-vous à réduire la fracture ?

Emmaüs Connect agit sur toutes les facettes de la fracture numérique en proposant de l’équipement, des moyens de connexion et de l’accompagnement sur des compétences essentielles.

Equiper : Parce que l’équipement est bien entendu indispensable pour sortir de l’exclusion numérique et pour progresser, Emmaüs Connect met à disposition dans ses points d’accueil des stocks variables d’équipements numériques (ordinateurs portables, smartphones, tablettes, téléphones basiques) à prix solidaire. Le matériel est collecté essentiellement auprès d’entreprises via notre plateforme LaCollecte.tech, puis revalorisé par des reconditionneurs partenaires et mis à la disposition des publics dans le besoin à prix solidaire.

Connecter : Les personnes mal logées et/ou non-bancarisées n’ont pas accès à des forfaits mobile/internet et doivent donc acheter des cartes prépayées à des tarifs très élevés. C’est pourquoi Emmaüs Connect propose, avec le soutien de SFR, des cartes prépayées téléphonie/internet à prix solidaire (40% moins chères). Sont également proposés des rendez-vous de conseil, pour choisir un forfait, ou de médiation pour régler un éventuel conflit avec un opérateur.

Accompagner : La dernière étape cruciale vers l’autonomie numérique, c’est l’acquisition d’un bagage minimum de compétences. Emmaüs Connect organise gratuitement des ateliers d’initiation (collectifs) et permanences connectées (individuelles) tous les jours au sein de ses points d’accueil et hors de ses murs. Via son organisme de formation, l’association forme également chaque année des centaines de professionnels du secteur social aux techniques d’inclusion numérique, pour leur permettre d’accompagner eux-mêmes leurs publics.

Q3 : Comment contribuez-vous à l’émancipation numérique ?

Notre mode d’action nous permet de lever les freins liés au numérique. En proposant de

l’équipement et des moyens de connexion à prix solidaire, nous permettons aux personnes en difficulté d’accéder au numérique. Trop souvent négligés, les freins psychologiques (peur de faire une erreur, ne pas savoir faire) prennent une place importante et c’est pourquoi nous mettons l’humain au coeur de nos accompagnements grâce à notre communauté de 900 bénévoles mobilisés dans toute la France. Nous travaillons également avec plus de 9 000 professionnels de l’action sociale pour leur permettre de prendre en main nos savoirs-faire et de démultiplier le nombre d’acteurs sur l’inclusion numérique grâce à notre réseau de Relais Numériques.

Q4 : En preuves, le bilan des partenariats avec les entreprises qui vous soutiennent ?

Le combat contre l’exclusion numérique nécessite des ressources très variées à la fois en termes d’équipements, de moyens de connexion et de formation. Nous nous appuyons sur une chaîne de solidarité de plus en plus forte, qui implique des entreprises donatrices, les collectivités, l’Etat, des reconditionneurs solidaires et bien sûr les structures sociales partenaires qui identifient les personnes en difficulté. A date, le bilan est très encourageant : le réseau de LaCollecte.tech, que nous avons initié sur la question de l’accès au matériel, c’est 12 000 équipements collectés en 8 mois, dix fois plus que ce que nous pouvions collecter il y a trois ans. Le réseau des Relais Numériques, c’est un maillage large sur l’ensemble du territoire avec près de 200 structures sociales qui sont devenues partenaires en un an. Il y a encore 18 mois, nous n’étions présents que dans 11 villes en France.

Chaque partenariat est tourné vers une action locale ou nationale concrète, dont l’impact est mesurable à l’échelle des bénéficiaires : nous savons qu’un smartphone ou une recharge prépayée à prix solidaire change le quotidien et le reste à vivre d’une personne précaire. Parfois, l’impact va même au-delà, mais cela devient plus dur à mesurer : un ordinateur peut par exemple permettre à toute une famille de retrouver une vie “normale” avec un accès à la scolarité en ligne et aux droits sociaux par exemple. Il y a également des effets d’échelle sur la formation des aidants : en formant une seule structure sociale à faire de l’inclusion numérique, on a un impact indirect sur des centaines voire des milliers de personnes qui seront à l’avenir aidées par cette structure près de chez elles. Nous savons donc qu’Emmaüs Connect a redonné le pouvoir d’agir à près de 100 000 personnes en difficulté depuis 2013 au sein de ses points d’accueil, mais l’impact indirect est bien plus large grâce à la force de ces partenariats

Q5 : Comment faire individuellement, dans chaque entreprise, pour aider ?

En s'interrogeant sur le devenir de son ordinateur professionnel pour le confier à une filière solidaire comme LaCollecte.tech ou en donnant de son temps pour accompagner des personnes éloignées du numérique, chacun à son niveau peut agir pour faire du numérique une chance pour tous !