Jean-Christophe Chaussat
D.M : Qu’est-ce que le numérique responsable ?
JC.C : C’est le fondement de la création de l’INR. Avant on parlait de Développement Durable (il ya 13 ans) et c’était compliqué. On a ensuite parlé de Green IT : mais il n’y avait pas de dimension sociétale. Avec le numérique responsable : on a la fois l’approche sociale et environnementale. Je travaille à la DSI de Pôle Emploi et c’est vraiment ce sur quoi je travaille, les 3P : People, Planet et Prosperity
D.M : Vous travaillez chez Pole emploi, je suppose que vous êtes confrontés à fracture numérique ?
JC.C : Le numérique doit être innovant en termes de technologie mais il faut aussi que ce numérique soit encadré en termes de ressources et d’accessibilité numérique. Le meilleur geste que l’on peut faire pour l’environnement c’est de prolonger la durée de vie des matériels pour permettre aux personnes les plus démunies d’être équipées. Il faut aussi travailler sur la frugalité numérique, travailler l’accessibilité : et l’accessibilité ce n’est pas seulement pour les personnes atteintes de handicap. Il s’agit d’un cercle vertueux à mettre en place. Travailler sur le réemploi pour créer un levier d’écoresponsabilité. Un cercle vertueux basé sur l’ACV.
D.M : En quoi est-ce que cela améliore la résilience des entreprises ?
JC.C : Ce dont on se rend compte c’est que 24% de la population française ont des difficultés à utiliser le numérique. On est responsable du numérique qu’on va créer demain. A-t-on vraiment besoin de frigo et couches connectées ? Comment construire ce numérique pour qu’il soit inclusif ? Exemple des formalités administratives très longues. Pour n’importe quelle activité on a du numérique maintenant et le numérique a tendance à nous éloigner des uns les autres.
D.M : Oui c’est mettre la technologie au service des personnes et non l’inverse. Autre question : Comment l’éthique joue-t-elle un rôle ?
JC.C : L’éthique joue un rôle bien sûr, et de plus en plus. Ne serait qu’avec la présence des cookies. Si je prends l’exemple d’une recherche sur Google, quand on tape un mot clé : on veut juste une réponse à nos questions. Et plus ça va, plus on détourne nos infos et nos temps de connexion pour tester nos habitudes. On est espionnés malgré nous. Par rapport à votre cœur de métier, il s’agit de changer les pratiques : un acheteur de grandes entreprises doit faire des achats durables. Aujourd’hui, le problème c’est que ce sont les logiciels qui décident de l’obsolescence des équipements Il faut couper court à cela. Les machines sont de plus en plus puissantes, on a le cloud : des data centers qui se multiplient, des besoins en énergie de plus en plus important. Un compte gmail est dupliqué 6 fois par exemple.
D.M : c’est extrêmement intéressant. Le cloud donne l’impression que c’est impalpable alors que les conséquences sont bien réelles. Cette semaine : notre objectif chez Econocom : supprimer 10 millions de mails. Il faut expliquer aux équipes, faire de la pédagogie. C’est essentiel. Comment trouver l’équilibre entre les objectifs de rendement et le vécu des personnes ?
JC.C : C’est le choix des individus. Exemple avec une brosse à dent : soit on achète une brosse très chère qui dure longtemps soit une brosse « merdique » qui dure peu de temps. L’INR a aussi lancé le cyberworld clean up day : en France dès l’année dernière – associé au dispositif qui aujourd’hui est mondial.
D.M : le numérique, comme ce n’est pas palpable, ce n’est pas facile de se rendre compte. Comment est-ce qu’on arrive à faire prendre conscience de son impact ?
JC.C : Oui en plus le numérique c’est joli, les smartphones sont tous hyper beaux. Et c’est social, statutaire. Avoir un IPhone c’est aussi dire que vous faites partie d’une certaine catégorie de personnes.
D.M : Quel est le risque greenwhashing. Comment est-ce que l’on est surs d’avoir la bonne data ? Est-ce qu’il y a de vrais centres de “contrôle” ?
JC.C : C’est pourquoi on a lancé. WeNR. On avait travaillé précèdent sur différents benchmark DSI. On travaille avec l’ADEME, le sigref, etc. Notre objectif : obtenir un consentement avec les experts. Mettre en commun et mettre les egos de côtés. On essaie d’obtenir un consensus sur un livrable. Et ensuite on essaie de faire porter le projet l’instance qui fait le plus référence. Pour ce qui est du guide de achats numériques responsables : on a voulu le faire porter par la direction des achats nationaux.
M.D : L’accessibilité universelle, les 3U, c’est possible ?
JC.C : Oui on fait de que l’on veut ! C’est à nous de choisir le numérique que l’on veut. En tant qu’individu : se battre dans nos organisations pour faire valoir nos valeurs. Mon rôle, c’est de faire en sorte que tout le monde se mette en ordre de marche, partage ses bonnes pratiques et ses livrables. Urgence sociale et climatique. Si on continue à faire du numérique pour des élites, on va encore alimenter cette fracture-là. Il faut être prêt a se mettre en défaut par rapport à sa direction.
L’avantage que l’on a c’est qu’aujourd’hui les jeunes ne veulent plus bosser dans des entreprises qui méprisent l’environnement. C’est un phénomène de survie des organisations. Il faut croire aux nouvelles générations. C’est à elles de travailler sur le numérique que l’on veut pour demain. Nos organisations ont le devoir de partager les expériences et les modes opératoires. Il faut être à plusieurs pour avoir de l’impact. Une entreprise seule ne fera rien.
Pour moi et pour beaucoup dans le milieu, la France est l’un leaders de ce mouvement. En Europe, mais aussi dans le monde.
D.M : Nous, Econocom, comment pouvons-nous faire plus ?
JC.C : Achats responsables, dispositifs de réemploi… Les pistes sont nombreuses. Nous travaillons d’ailleurs sur un label de réemploi. Un label de qualité sur les équipements de 2eme vie.
De mon côté j’ai lancé “REEEboot” chez Pole Emploi, j’ai déposé la marque et Pôle Emploi a financé la première opération, puis lancement d’une association pour récolter des fonds. On lance un appel à projets aux associations autour de la remise en état du matériel du matériel informatique. On a des candidats, des jurys issus de grandes entreprises qui ensuite pourront sensibiliser leurs équipes.
D.M : selon vous, est-ce que le législateur doit aller plus loin ?
JC.C : Ils ont déjà imposé 20% c’est déjà pas mal ! Et puis, pour une utilisation professionnelle et sociale “basiques” : est-ce que l’on a besoin de machines ultra performantes dont l’obsolescence est vite arrivée ? Nous devrions mettre en place des étalons. Ce que nous souhaiterons faire aussi, c’est en plus d’un guide des achats numériques responsables, c’est le guide des fournisseurs responsables. Une idée également : lancer une commission sur la communication. Avoir un message unique. Faire émerger des choses.
